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Le Focusing

 

par Bernadette LAMBOY*

(Le Journal de l'A.F.P.C. 1998 n° 4)

"Le focusing est une nouvelle façon de comprendre notre expérience intérieure et notre nature profonde, un nouveau modèle fondamental de vie. "

E. GENDLIN

Alors que l'Institut de focusing de Chicago organise ses 10èmes journées internationales de focusing - mai 98 -, cette approche reste néanmoins méconnue en France. Cet article voudrait pallier un manque à ce sujet. Avant de définir le focusing, il serait sans doute éclairant de le situer dans son contexte historique.

Le focusing s'inscrit à l'origine, au coeur de l'Approche Centrée sur la Personne développée par Carl ROGERS1. Nous devons à Eugene GENDLIN2, proche collaborateur de ROGERS, la mise au point de cette pratique qui selon le psychologue américain Neil FRIEDMANN représente "le plus important développement issu de la tradition Centrée sur la Personne. " Les travaux de ROGERS et GENDLIN sont complémentaires. Pour ROGERS, ce sont avant tout les attitudes empathie, congruence, regard positif et la qualité de présence du thérapeute qui sont facilitatrices du changement chez le client. Tout comme Rogers, Gendlin a accordé une grande importance à la personne, à la relation et à la qualité d'écoute. Plus particulièrement, il cherche à comprendre ce qui se passe à l'intérieur du client dans son monde phénoménologique. Il s'arrête sur la relation que le client entretient avec lui-même et montre qu'il est possible de diriger son attention vers ce qui se passe corporellement à l'intérieur de soi pour en apprendre quelque chose.

Au départ, GENDLIN a étudié la question de "comment s y prennent les gens qui progressent rapidement en thérapie". Que font ces gens ? Comment s'y prennent-ils avec eux-mêmes ? A quoi se fient-ils à l'intérieur d'eux ? A la recherche de quoi sont-ils ? A l'écoute de quoi ? Quels sont leurs repères internes ? Par quoi se laissent-ils guider ? Qu'est-ce qui les met sur la voie et comment savent-ils qu'ils sont sur une direction constructive pour eux ? Ces questions et les réponses apportées par GENDLIN lui ont permis de mettre en évidence une sorte de démarche interne à partir de laquelle il devient possible de se repérer dans son monde intérieur, et en conséquence de progresser en thérapie et de se repositionner dans différentes situations.

Si GENDLIN s'est appuyé sur les personnes qui présentaient un fonctionnement plus performant pour en tirer une méthode de "connaissance de soi", d'accès à soi-même et à sa capacité de changement, il est intéressant de noter que cette démarche n'est pas réservée aux personnes "douées". Il s'agit d'un fonctionnement originellement naturel que chaque client dans le cadre de la thérapie ou chaque personne en dehors peut redécouvrir et se réapproprier.

Face à un questionnement, face à une situation problématique - que ce soit dans un cadre thérapeutique ou dans un contexte plus général - comment trouver une réponse satisfaisante ? Dans le focusing on s'intéresse particulièrement à la manière de procéder pour obtenir cette réponse. On peut distinguer, en gros, deux méthodes de cognition. Une connaissance logique, au sens de rationnelle, analytique, conceptuelle, objectivante qui procède par touches successives et lien causal. Ce type de connaissance est actuellement le plus développé par les sciences cognitives. D'autre part, une connaissance plus sensible, plus intuitive, plus globale faite d'impressions et de sensations diffuses qui suit elle aussi, nous le verrons, sa propre logique. Ces sensations peu définies se tiennent en arrière fond de ce qui pourra être élaboré par la suite, comme une frange informelle de laquelle vont émerger concepts, images, représentations et expressions diverses. Dans le focusing, il s'agit d’accéder à ce deuxième type de connaissance ce qui demande une relation de proximité et d’intimité avec soi-même et aussi une manière de procéder très précise.

Ainsi, "focuser", c'est venir en contact avec une sensation particulière à l'intérieur de soi afin d'en laisser émerger des informations nouvelles. A la manière du "focus" d'un appareil photographique qui rend nette une image au départ floue, « faire du focusing », c'est rendre précise et claire une impression interne indéfinie mais bien présente car corporellement repérable.

C'est à partir de cette connaissance "au feeling", organiquement présente, que nous appelons connaissance expérientielle que la personne va trouver des moyens pour résoudre sa difficulté et fonctionner sur un mode différent de celui qui est à l'origine du "problème". Nous savons bien que la plupart du temps ce n'est pas tant la situation qui pose problème que la manière de l'envisager et de l'aborder. Un des buts de la thérapie - et en cela le focusing rejoint les autres thérapies - est d'amener la personne à "recadrer" la situation en lui permettant de se situer autrement. Le recadrage, ici, sera induit depuis le niveau expérientiel, dans la mesure où une nouvelle représentation émerge à partir de ce niveau.

La plupart des thérapies privilégient une voie d'accès à la personne, en mettant l'accent sur un des registres cognitif, émotionnel, corporel, relationnel, familial, artistique ou autres. Dans le focusing, ce qui est primordial, c'est ce "feeling global", ce quelque chose ressenti en soi à quoi on prête habituellement peu d'attention et qui se tient, pourrait-on dire, en-deçà et en arrière-fond des différents registres et modes d'expression, rassemblant ce que vit globalement la personne. Pourquoi cette "sensation globale" est-elle si importante ? C’est qu’elle contient l'ensemble de ce qui est vécu par la personne, elle le contient d'une manière implicite et intriquée, non encore formalisée et dépliée.

En portant son attention vers un certain type de sensation, plutôt floue et peu définie au départ, il devient possible de se rapprocher de cette globalité. La connaissance expérientielle serait pour ainsi dire inscrite préalablement dans la dimension organique de la personne. Chaque personne n'est-elle pas à tout moment engagée corporellement dans une situation ? Ne dispose-t-elle pas instantanément d'une impression diffuse sur sa manière de vivre chaque situation qui lui fait savoir si « ça va » ou non? Il est probable que nous fassions référence - la plupart du temps sans en avoir conscience - à ce genre d'impression pour aiguiller nos choix, décisions et comportements. Plus l'adéquation se fait d'une manière ajustée entre le niveau expérientiel et le niveau d'actualisation représenté par les diverses expressions de soi dans différents registres - plus la personne fonctionne d'une manière performante et satisfaisante.

Ecouter la dimension expérientielle c'est toujours écouter une note qualitative qui résonne en soi. Cette note signale plus ou moins d'aisance, de confort, de contentement, ce qui constitue une sorte de baromètre interne fiable à la disposition de la personne. Cette impression globale qualitative, appelée experiencing, à l'arrière fond des états mentaux qui occupent le devant de la scène, est un concept central de l'Approche Centrée sur la Personne et du focusing. Il revient au thérapeute d'aider la personne à s'en rapprocher car cet experiencing sert d'appui référentiel à l'autonomisation de la personne. Le thérapeute doit inviter son client à parler et à penser à partir de ce niveau expérientiel.

L'avantage du focusing est d'avoir systématisé ce fonctionnement pour en faire une méthode exploitable dans un cadre thérapeutique mais aussi en dehors comme base de comportement. Pour résumer, disons que dans un premier temps le focusing invite à  contacter cette impression globale mais floue au départ qui rassemble le "tout" sur la question. Dans un deuxième temps, il permet d'interroger cette impression globale pour en apprendre quelque chose de nouveau.

Pour illustrer cette procédure, voici un exemple tiré d'une rencontre avec une personne qui expose une difficulté précise : cette personne, en relation étroite avec deux jeunes filles qui viennent de perdre leur mère, exprime une certaine anxiété face à la manière d'aborder cette situation et de rencontrer ces jeunes. Pour passer au niveau expérientiel, le thérapeute l'invite à sentir l'impact de cette situation en elle, en lui demandant de toucher de l'intérieur la sensation particulière qui naît quand elle évoque cette situation.

- C'est comme quelque chose de léger tout autour de la poitrine, dit-elle en faisant des gestes arrondis devant la poitrine.
- Pourriez-vous préciser cette sensation ?
- Ca fait comme une sorte de halo, là, sur la poitrine. Mais ce halo est un peu gris. J'aimerais qu’il soit plus transparent.
- Ce halo, que pourrait-il vous apprendre ?
- Je sais, c'est mon manque de confiance en moi.
(Cette réponse partielle n'est pas fausse mais, faisant partie des schémas que la personne s'applique à elle-même, ne permet pas une réorganisation qui enclencherait le changement. Aussi est-il nécessaire de retourner à l'expérientiel pour l'inviter à émettre de l'information nouvelle).
- Prenez le temps. Laissez la réponse venir du halo. Que pourrait-il vous suggérer ?
- (ferme les yeux, reste silencieuse, à l'écoute). Il faudrait que je puisse avoir davantage confiance en moi. En fait, je n'ai qu'à laisser parler mon cœur être naturelle. La réponse adaptée viendra. Je ne peux prévoir à l'avance la situation, mais je peux que faire confiance si je suis disponible. Aussitôt le halo se dissipe pour laisser place à une impression d'ouverture et de légèreté.

Ce bref extrait montre à quel point il est possible d'accéder rapidement à quelque chose en soi qui en "connaît" plus que nous ne le croyons. Ce quelque chose rencontré au niveau expérientiel est perçu et ressenti corporellement. C'est au départ une sensation indéfinie et imprécise qui vient à se définir à partir du moment où l'attention se pose dessus. Cette impression originellement floue est en lien direct avec la manière dont une personne fait l'expérience globale de la situation. Cette manière singulière dont une personne fait l'expérience globale de la situation est l'experiencing. De cet experiencing se dégage une impression éprouvée et indéfinissable par la personne : le "sens corporel", en anglais bodily felt sense.

Pour GENDLIN, "le sens corporel est la manière dont le corps ressent le problème dans son entier". Il nomme parfois le sens corporel "felt meaning", soit la "signification ressentie" ce qui indique que le corps, à travers ce ressenti "sait" ce qu'il en est. Autrement dit, la phrase précédente de GENDLIN pourrait aussi s'énoncer par, "le sens corporel est la manière dont le corps 'connaît' le problème dans son entier", nous sommes renvoyés à cette connaissance expérientielle dont nous parlions. Cette assertion est souvent transcrite par les personnes par l'expression, "le corps ne ment pas" : si l'on est à l'écoute de cette sensation il devient difficile de se tromper et de se leurrer.

Ainsi, en résonance à tout événement, il est possible de repérer des sensations corporelles particulières, différentiables des sensations purement physiques. Nous pouvons très bien distinguer une compression occasionnée par un vêtement trop serré d'une compression en lien avec une situation qui nous met mal à l'aise. Nous faisons facilement la différence entre un froid dû à une basse température et un froid qui nous glace intérieurement devant un événement. Le focusing et toute thérapie expérientielle aident à venir au contact de ce style de "matériau" expériencié dans le corps pour lui permettre de rendre manifeste ce qui se joue en sourdine et .ainsi éclairer la personne dans ses choix et ses orientations de vie.

Mais il s'agit là d'une connaissance implicite qui demande à être développée. En effet, le "sens corporel" nous dit qu'il se passe quelque chose dans le corps en termes de sens, c'est-à-dire d'abord, de sensation, puis de signification et donc d'information et de compréhension et enfin, nous le voyons dans l'exemple précédent, de directionnalité. En effet, dans ce cas, le "sens corporel" - le halo et ses nuances- détient implicitement la "solution", plus exactement, il porte en lui-même ce qui va faire avancer le processus vers sa résolution. Son mouvement intrinsèque fait progresser la. situation de l'endroit qui "bloque" vers une nouvelle proposition mieux adaptée, plus fluide, qui correspond à un meilleur ajustement, donc à un gain dans l'économie de la personne. En conséquence, la personne ne peut qu'en ressentir un soulagement. A partir du moment où ce sur quoi elle bute se résorbe en produisant de l'information, elle y gagne en connaissance et en congruence - elle sait davantage où elle en est ; de plus, elle y gagne très souvent en résolution de problème et donc en confort. Dans ce sens, GENDLIN parle du "sens corporel" en terme de "carrying forward" ce qui rejoint la notion fondamentale de ROGERS de tendance actualisante, autrement dit, cette capacité qu'ont les organismes vivants à trouver les moyens optimums pour résoudre les défis posés par chaque situation.

Le focusing est une manière d'aller à l'essentiel et au global - l'analyse ne suffit pas, l'émotion ne suffit pas, le corps ne suit pas. Il faut aller à une sensation particulière corporellement décelable de laquelle va pouvoir émerger de l'information et en conséquence un changement - réorganisation produite par l'intégration de cette nouvelle donnée. Pour faciliter la démarche, GENDLIN a repéré plusieurs étapes qui ouvrent l'accès à la dimension expérientielle et permettent d'en tirer des informations profitables. Cependant, cette approche nécessite au départ une attitude particulière : pour que l'information nouvelle puisse "se révéler", il convient non pas de "vouloir" quoi que ce soit mais de se porter à l'écoute, d'être réceptif, sans jugement préconçu et même sans idée préalable sur ce qui va survenir. Ces attitudes rejoignent évidemment celles mises en avant par ROGERS pour créer un climat propice au changement d'une personne car ce sont elles qui sont le plus à même de faciliter le processus d'émergence.

Voici les différentes étapes du processus du focusing : 

  • Dégager un espace : par rapport à une question ou une situation où l'on cherche à examiner, créer les conditions propices à l'écoute de ce qui résonne en soi en gardant une juste distance.
  • Laisser venir le sens corporel : en écho à cette question, venir au contact avec le niveau expérientiel en se rapprochant de l'impression floue et peu définie qui lui correspond. Laisser apparaître le sens corporel qui est la réponse globale à la situation.
  • Préciser le sens corporel, le « prise » ou mise en forme : cette sensation corporellement ressentie va se définir et apparaître plus nettement sous forme d'un mot, qu'une qualité, d'une expression, d'un mouvement, couramment sous forme d'une image. Cette mise en forme s'avère très précise et de "très haute définition" (dans la forme, le volume, les couleurs, la luminosité, les matériaux et textures, les mouvements internes, les directions qui se dessinent...).
  • Laisser résonner la forme : prendre le temps de vérifier la forme et l'accompagner dans son mouvement interne.
  • Interroger le sens corporel : plus exactement, le "laisser parler". Le sens corporel va expliciter ce qu'il contenait implicitement, il va rendre intelligible et évident ce qui s'y tenait d'une manière informelle et cependant sensible. Cette émergence suit son propre mouvement interne d'auto-organisation et permet à la personne de s'y reconnaître et de se connaître.
  • Accueillir : prendre le temps d'accueillir ce qui vient d'émerger. Les nouvelles informations ne sont pas simplement un supplément d'information. Elles conduisent à une réorganisation complète qui modifie la personne dans son intégrité et ouvre des perspectives nouvelles sur la manière d'aborder la situation, de se positionner et d'agir.

Si ce procédé nécessite un certain apprentissage il répond aussi à une logique interne, comme une voie d'accès à soi-même. Ce qui se révèle n'est pas forcément synonyme de facilité, mais certainement de meilleure concordance avec soi. Cet ajustement de soi avec soi-même constitue toujours un mieux-être indépendamment de ce qui se fait connaître. A partir de là, naît la possibilité de prendre la situation sous un autre angle.

Un autre exemple : prenons le cas d'une personne qui s'avance "très prudemment" vers ce qui se passe dans son corps, car elle est habituée à garder le contrôle. Cette personne vient d'apprendre que son mari a une liaison. Aussitôt elle s'est dit, "avec sa tête'' précise-t-elle, que ce ne devait pas avoir d'importance vu la situation de leur couple. Mais son corps réagit, et quelques maux de ventre viennent lui rappeler qu'elle n'est peut-être pas si "indifférente" qu'elle voudrait l'être - les maux de ventre ne sont pas un "sens corporel" mais une réaction somatique dite psychosomatique ! Le "sens corporel" est à percevoir dans une dimension plus "subtile", moins définie a priori, plus globale car il intègre d'autres informations nécessaires à la compréhension de la situation.

Je lui propose donc simplement de se mettre à l'écoute des différentes impressions qui sont présentes au fur et à mesure qu'elle parle de cette situation. Que se passe-t-il en elle, et où ?... Comment cela fait-il ?... A quoi elles pourraient ressembler ?... Après quelques tâtonnements, différentes impressions attirent son attention : dans le ventre (ça appuie fortement sur la droite), sous la poitrine (une sorte de tremblement), dans le bras gauche (une vibration). Le simple fait de porter attention permet à ces sensations de se préciser : vient alors une sinuosité qui relie ces trois points, "comme un serpent dont la tête est au ventre, avec du rouge, la queue au bras, avec du bleu", puis se dessine l'image de la lune par-dessus. A moins d'avoir une interprétation bien orientée, nous ne pouvons rien en savoir a priori. Avec le focusing, nous jouons toujours la carte de l'innocence, sinon comment être ouvert à l'information nouvelle?

Une fois que l'experiencing s'est précisé et que le "sens corporel" se définit, l'étape suivante consiste à "interroger" ce qui se présente : qu'est-ce que cette sensation qui est "comme un serpent ...avec par-dessus la lune" pourrait faire connaître à cette personne sur la manière dont elle vit la situation ? Première réaction : "rien, je ne sais pas, je ne vois rien", ce type courant de réponse devant une question aussi inhabituelle, correspond à une tentative de comprendre à partir de repères connus. Il s'agit au contraire d'inviter à laisser venir, de laisser la réponse émerger en se plaçant dans une attitude de réceptivité - ce que ROGERS appelait l' «ouverture à l'expérience ». Ce qui survient alors donne une perspective nouvelle qui, pour ce cas-ci, se présente ainsi : "je pense à ma mère, je me suis sentie abandonnée (je ne l'étais pas en réalité) et maintenant je me sens abandonnée aussi, comme je me suis sentie abandonnée par ma mère". La réponse qui lui apparaît alors comme une "révélation" est en même temps reconnue, car quelque part, la personne le "savait" déjà. Cette connexion entre ce que le corps "savait" mais qui n'était pas explicitement su et cette soudaine compréhension, procure, du fait même de cette nouvelle cohérence interne, un sentiment de soulagement. Il se peut, comme c'est le cas ici, que le message soit difficile à recevoir, néanmoins la part de souffrance due au décalage entre le discours mental et le vécu expérientiel s'estompe. La personne gagne en congruence dans la mesure où se crée un accord interne entre ce qu'elle vit et la conscience qu'elle en a. Aussi, à la question : "comment vous sentez-vous dans votre corps ?", la réponse ne se fait pas attendre : "je me sens soulagée, dit-elle avec un soupir de relâchement". Le rapprochement et la réconciliation avec cette dimension expérientielle vécue est une source profonde d'apaisement, même dans des situations extrêmes.

Si nous pouvions formuler une hypothèse quant au fonctionnement de ce processus d'actualisation, nous dirions que la personne, tout comme l'univers dans son ensemble, s'inscrit dans un vaste processus d'auto-organisation et d'auto-engendrement. Dans cette logique processuelle, l'instant présent est créateur de l'instant suivant. Ce qui voudrait dire que toute situation - il en va de même pour toute personne d'autant plus qu'elle se laisse traverser par ce flux organisationnel - est susceptible d'engendrer un degré supplémentaire d'information.

La dimension expérientielle, selon notre hypothèse, est le lieu privilégié de jaillissement et de réorganisation car elle est reliée par le fonds à un vaste océan créateur. Pour ainsi dire, elle de tiendrait à l'interface entre un niveau implicite de réalité et une dimension plus formelle, davantage explicitée. Cet interface correspondrait à une zone transitionnelle où tout est encore "intriqué", mêlé et tissé ensemble mais d'où les choses émergent et s'individualisent en adoptant leurs propres formes - pensées, émotions, images, différentes représentations et expressions. GENDLIN parle de "edge ", de lisière entre le monde conceptualisable et ce qui ne peut l'être qu'il désigne par "... " Cette dimension non-nommable, a-modale semble porter le mouvement auto-créateur du vivant. Aussi le niveau expérientiel apparaît-il particulièrement propice à l'émergence du nouveau : ce serait là que les processus de réorganisation se mettent en place. Des informations nouvelles implicitement contenues dans le champ du vivant - peut-être à la manière des patterns d'interférence des plaques holographiques - peuvent se faire connaître, trouver leur place dans le champ personnel, y être intégrées et redéployées dans un processus de changement. Nous dirions que la dimension expérientielle participe directement à la dimension créatrice de la personne.

Selon notre hypothèse, il existerait une sorte d'intelligence première, native, fondamentale qui pourrait se manifester à travers la dimension organique, une sorte d'intelligence foncière organique. Cette intelligence organique serait totalement présente dans la globalité du corps, à la base de son fonctionnement en tant qu'unité singulière. Le processus du focusing nous permet de nous rapprocher de cette intelligence organique qui se fait entendre au niveau expérientiel. Comprendre n'est plus alors l'unique affaire de la pensée. Comprendre vient de la capacité à laisser l'intelligence expérientielle produire de l'information, la traiter, et nous indiquer l'orientation à suivre.

La personne qui vit un focusing fait davantage qu'apprendre quelque chose de plus à son sujet: elle fait vraiment l'expérience d'elle-même. Non seulement elle trouve un éclairage supplémentaire, elle a aussi le sentiment de se retrouver. Un plus grand degré de compréhension s'allie à une connexion plus solide avec soi-même, à un ancrage plus présent, à une congruence mieux ajustée. Tout aussi importante est la possibilité de se référer et de se fier à ce processus interne. Savoir que l'on peut faire confiance à quelque chose en soi qui "connaît" la solution et se laisse connaître par des repères très fins et très précis est une source de sécurité interne à partir de laquelle il devient plus aisé de fonder sa conduite, réparer des souffrances, s'engager dans sa vie, s'autonomiser. Faire du focusing est assurément une manière de se réapproprier et la responsabilité de la situation et son propre processus d'actualisation. 

 

*Bernadette LAMBOY : 1880 Les Monts, 73000 Bassens-Chambery. Tel : 04-79-75-02-77.

1 Un des ouvrages les plus connus de ROGERS : Le développement de la personne, Dunod. 1988.

2 Voir les ouvrages d'E. GENDLIN : en français : Focusing : au centre clé soi, Le Jour, 1984 ; en anglais : Focusing-oriented psychotherapy, Guilford Press. 1996.